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Comment dire «Attention danger» pour des millénaires

L’enfouissement des déchets radioactifs suppose une signalisation qui demeure accessible et compréhensible pour les générations futures

Comment dire «Attention danger» pour que le message soit compris par les générations futures, même dans des milliers d’années? Outre les défis techniques, l’enfouissement des déchets nucléaires en profondeur, sur lequel les Vaudois doivent se prononcer ce week-end, pose un autre problème épineux: celui de la signalisation. La durée de vie de ces restes encombrants est telle qu’imaginer un moyen de communication qui demeure accessible à nos lointains descendants, aussi bien au niveau du langage que du support, est un casse-tête. D’autant que la technologie nucléaire risque bien d’avoir disparu d’ici là, ne serait-ce qu’en raison de l’épuisement des réserves de combustible.

Pourquoi alors ne pas garder les déchets à portée de main en attendant de trouver une solution? «Les sociétés ne sont pas assez stables, répond le géologue et sociologue Marcos Buser, qui a réalisé plusieurs rapports pour la Confédération. Crises économiques, catastrophes naturelles majeures, conflits: elles peuvent à tout moment se retrouver en situation de rupture et les enjeux à long terme sont mis de côté pour faire face au plus pressant.»

Sans compter que les échelles de temps sont vertigineuses. Pour que la moitié des noyaux de plutonium-239 se désintègrent, il faut 24 000 ans. Pour l’iode-129 – un des produits particulièrement coriaces de la fission nucléaire – près de 16 millions d’années. Les différents scénarios d’enfouissement des déchets actuellement étudiés sont prévus pour quelques centaines de milliers d’années. Quant aux groupes qui planchent sur la question de la signalisation, ils se contentent en général d’un horizon à 10 000 ans. «C’est l’ordre de grandeur de notre connaissance de la société humaine, la révolution du néolithique», explique Marcos Buser.

Transmettre des informations sur quelques siècles est déjà une tâche ardue. «Nous n’avons pas de mémoire des données, poursuit le spécialiste. Même pour les grandes archives, il n’y a pas de systématique. Les textes de l’Antiquité dont nous disposons ont survécu par hasard, la bibliothèque d’Alexandrie a été incendiée à plusieurs reprises.» Les archives secrètes du Vatican sont le recueil de données le plus ancien. Mais, au-delà de huit siècles, la plupart des documents ont succombé «à la fragilité des papyrus, aux déménagements ainsi qu’aux vicissitudes politiques», explique le Saint-Siège. L’Agence nationale française pour la gestion des déchets radioactifs (Andr­a)­ s’intéresse au modèle de l’Académie française qui a réussi à conserver et transmettre ses connaissances depuis sa création en 1635.

Cela peut s’avérer utile pour la gestion des déchets à faible et moyenne activité, dont le rayonnement diminue fortement en quelques siècles. Pour son centre de stockage de la Manche, l’Andra, jugeant incertain le sort des supports numériques, notamment en raison de la rapidité de leur évolution, a misé sur une sorte de «papier permanent», à base de cellulose pure. Mais, pour les échelles de temps des déchets hautement radioactifs, le problème se complique. Et la question du langage à utiliser vient s’y ajouter.

Dès les années 1980, des équipes de scientifiques, linguistes, anthropologues, archéologues et même d’auteurs de science-fiction ont été réunies pour travailler sur le sujet. En 2002, le concours «d’avertissement universel» lancé pour le site de Yucca Moutain, au Nevada, primait un projet qui proposait de recouvrir la montagne de yuccas génétiquement­ modifiés pour prendre une couleur bleue. «Une mutation pour protéger une autre mutation», commentaient les organisateurs.

A la Waste Isolation Pilot Plant, au Nouveau-Mexique, pionnière en la matière, où des déchets radioactifs sont stockés à 650 m de profondeur, toutes sortes d’idées ont été lancées. Comme celle d’ériger une forêt d’immenses épines en béton. C’est finalement le modèle des monuments les plus anciens encore debout – comme les dolmens de Stonehenge – qui a été retenu. Le projet prévoit d’ériger une série de monolithes d’une vingtaine de tonnes au sommet d’une butte de terre pour marquer l’emplacement. Sur chaque pierre sera gravé un message dans les six langues officielles des Nations unies et en navajo. Dans le sol seront enterrés des réflecteurs de radars ainsi que des aimants qui donneront au lieu une signature magnétique. «Il est important de ne pas utiliser des matériaux qui aient une quelconque valeur ou utilité, sinon ils seront pillés, souligne Marcos Buser. Sur les sites archéologiques, on retrouve toujours des morceaux de poterie. Je pense qu’une des meilleures façons de marquer un site serait d’enterrer un million d’éclats de céramiques, à raison de un par mètre carré à 50 cm de profondeur. C’est très fastidieux à ramasser et ça n’intéresse personne.»

Reste encore à trouver comment graver sur ces marqueurs un message qui reste compréhensible dans un contexte complètement différent. «Les archéologues ont beaucoup de peine à interpréter les symboles qui remontent au-delà de 3000 ans. Aujourd’hui, tout le monde comprend le signe «extincteur», mais imaginez-vous dans quelques siècles, lorsqu’on aura d’autres méthodes pour éteindre le feu…» Sur les monolithes du Nouveau-Mexique, les Américains ont prévu d’assortir leurs textes de bandes dessinées et de pictogrammes. Des visages saisis d’effroi ou de nausées accompagneront le symbole nucléaire. Il faut dire que ce dernier est loin d’être explicite. En 2007, suite à plusieurs accidents, l’Agence internationale pour l’énergie atomique a lancé un nouveau panneau, où la fameuse hélice est agrémentée de rayons, avec un homme qui s’enfuit et une tête de mort. Marcos Buser penche aussi pour le crâne et les ossements: «Même ce symbole n’est toutefois pas universel. Dans une église, il peut marquer l’emplacement de la tombe d’un saint, ailleurs, c’est l’emblème de la piraterie… On a beaucoup réfléchi à cette problématique du marquage mais il est impossible de trouver un signalement qui soit totalement clair.»

Ne vaudrait-il alors pas mieux simplement cacher ces dépôts? «C’est une vraie question, s’il y a une signalisation, il y aura toujours des curieux qui voudront aller voir de quoi il retourne», observe Paul Bossart, directeur du projet de recherche de l’Office fédéral de la topographie, au Mont Terri, dans le Jura. Marcos Buser fait toutefois valoir qu’il est impossible de faire disparaître toute trace d’activité humaine d’un site et que celles-ci susciteront de toute manière la curiosité des générations futures. Pour lui, il s’agit de traiter le problème du marquage sans se faire trop d’illusions: «Il faut le faire pour tranquilliser notre conscience, mais il n’y aura jamais de garantie sur le résultat.»