Si la montée des eaux est inévitable, elle risque également d’être plus importante que prévu : jusqu’à 2 mètres d’élévation d’ici à la fin du siècle. C’est ce que suggère une étude américaine publiée jeudi 31 mars dans la revue Nature. Les auteurs, Robert DeConto, de l’université du Massachusetts, et David Pollard, de l’université de Pennsylvanie, ont modélisé la contribution de l’Antarctique à l’élévation des mers et ont mis en avant la sensibilité de cette calotte glaciaire.
« DeConto et Pollard proposent ici un des modèles les plus sophistiqués qui représente l’écoulement de l’Antarctique dans son ensemble, explique Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue et coprésidente du groupe 1 au sein du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Jusqu’ici, on ne pouvait pas prendre en compte l’Antarctique dans les prévisions de la montée des eaux. »
Pour établir leurs résultats, les chercheurs se sont basés sur deux précédents épisodes de déglaciation. L’un datant du pliocène, voilà quelque trois millions d’années, et la dernière période interglaciaire, il y a 130 000 à 115 000 ans. Durant ces deux « épisodes chauds », le niveau des mers était respectivement de 10 à 30 mètres et de 6 à 9 mètres plus élevé qu’aujourd’hui.
En combinant données géologiques et données atmosphériques, les auteurs ont ainsi pu proposer un modèle applicable aux conditions actuelles. Pour les trois scénarios standards, c’est-à-dire une augmentation de température respective de moins de 2 °C, de 3 °C et de 4 °C, ils ont pu déterminer l’impact du recul de l’Antarctique.
Les chercheurs ont ainsi estimé que « si les émissions de gaz continuent à augmenter au rythme actuel, la fonte de la calotte antarctique pourrait contribuer à plus d’1 mètre d’augmentation du niveau des mers d’ici à 2100 et plus de 15 mètres d’ici à 2500 ».
Cette nouvelle modélisation revoit fortement à la hausse les prévisions du cinquième rapport du GIEC. Celles-ci prenaient en compte la fonte et l’écoulement du Groenland, la dilatation des océans et la fonte des glaciers de montagne. « Mais le GIEC n’avait pas pu tenir compte de l’effondrement de la calotte glaciaire au moment de son rapport, car les études manquaient », explique Catherine Ritz, chercheuse au laboratoire de glaciologie de Grenoble qui avait établi un modèle similaire en novembre 2015. « Cependant, ajoute-t-elle, le groupe avait déjà reconnu que l’Antarctique constituait un des plus grands risques. »
Selon le dernier rapport du GIEC, dans le meilleur scénario, les océans s’élèveront de 40 centimètres d’ici à 2100, tandis que dans le pire des cas, si les émissions de gaz à effets de serre restent identiques, le niveau des mers monterait de 98 centimètres. Mais en ajoutant la contribution de l’Antarctique, on arriverait à une augmentation comprise entre 60 centimètres et 2 mètres.
Les méthodes utilisées par les membres de cette équipe leur ont permis d’étudier les secteurs instables de l’Antarctique et de prévoir les effondrements des plateaux de glace et des falaises de la calotte. « Il y a dix ans, on pensait que l’Antarctique de l’Est était stable. Ce qu’on a observé depuis tend à prouver le contraire, explique Catherine Ritz. La plus grande incertitude sur l’augmentation du niveau des mers vient désormais de l’Antarctique. »
Les efforts annoncés lors de la conférence mondiale sur le climat (COP21) – s’ils sont effectifs – conduiront à une hausse du thermomètre de 2,7 °C, selon la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), voire de 3 °C à 3,5 °C, d’après le Programme des Nations unies pour l’environnement. Dans ce cas, le modèle américain prévoit une hausse due à l’Antarctique de 50 centimètres, en plus des prévisions du GIEC.
« Cela serait catastrophique pour les côtes et certains archipels qui seront rayés de la carte, alerte Valérie Masson-Delmotte. Mais aussi pour la ville de New York, par exemple, qui a basé son plan de construction sur une hausse du niveau des mers de plus d’1,40 mètre en pensant avoir une marge d’erreur. Ces nouveaux résultats montrent qu’en cas d’échec des accords de Paris, cette ville sera partiellement inondée. »
Côté positif, ce modèle montre qu’en réduisant drastiquement les émissions de gaz à effet de serre, l’exposition à une montée des eaux sera diminuée, voire limitée à quelques dizaines de centimètres. Mais pour cela, le GIEC estime qu’il faut réduire de 40 % à 70 % les émissions mondiales d’ici à 2050 et parvenir à la neutralité carbone – zéro émission – à la fin du siècle.
« Ce qui est sûr, souligne Mme Masson-Delmotte, c’est qu’en cas d’échec de l’accord de Paris, l’Antarctique sera notre principal sujet de préoccupation. »
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