Article Intégration dans le réseau , Stockage d’énergie , Énergies renouvelables

Stockage pneumatique sous-marin d’énergie

Des réservoirs hydrostatiques installés dans les fonds marins et lacustres: une idée à creuser?

23.02.2017

Le stockage de l’énergie aussi bien photovoltaïque qu’éolienne est l’un des défis à relever pour assurer la transition du renouvelable. Le stockage sous-marin d’air comprimé associant échangeurs thermiques et réservoirs hydrostatiques souples installés au fond des lacs offre des éléments de réponse originaux et prometteurs.

Le stockage d’énergie électrique (Electrical Energy Storage, EES) est un élément-clé pour la modernisation du réseau électrique. Traditionnellement, la production d’énergie a été effectuée d’une manière stable par de grandes installations centralisées. Avec le déploiement intensif de systèmes de production d’énergie renouvelables tels que les installations photovoltaïques et éoliennes, les réseaux doivent incorporer des sources de production d’énergie électrique intermittentes, tout en préservant la fiabilité de la distribution.

Il existe de nombreuses techniques de stockage d’énergie électrique, les plus connues étant les batteries (et les supercapacités). Cependant, pour un stockage de grande envergure, les méthodes chimiques posent des problèmes au vu de la quantité de matériaux nécessaires et des aspects environnementaux. À grande échelle, l’utilisation des barrages en mode pompage-turbinage offre une excellente efficacité énergétique mais arrive à saturation. Il est donc nécessaire d’explorer d’autres pistes. Le stockage par air comprimé en est une.

Au niveau international, différents systèmes de CAES (Compressed Air Energy Storage) ont été étudiés et certains mis en pratique. La plupart butent cependant sur le problème du cycle thermodynamique engendré, ce qui limite sérieusement l’efficacité énergétique. Ce n’est pas le cas d’un système associant un échangeur thermique et un réservoir hydrostatique souple installé au fond d’un lac ou de la mer. Ce type de stockage d’énergie comporte nombre d’avantages: de grands volumes sont disponibles, le rendement thermodynamique de compression/décompression est élevé et les atteintes au paysage sont très faibles, voire nulles.

Aspects thermodynamiques

L’étude du cycle thermodynamique d’un système de stockage pneumatique permet d’en évaluer son efficacité énergétique. La compression d’un gaz est généralement accompagnée de production de chaleur – on en a tous fait l’expérience en gonflant un pneu de vélo avec une pompe manuelle – et, dans un tel cycle, la chaleur dissipée représente une perte d’énergie.

Pour être efficace, il faut que la compression et la décompression puissent être effectuées de façon isotherme, car, dans ce cas, le travail de compression est égal au travail de détente, ce qui permet en théorie un rendement de 100% [1]; il faut pour cela disposer d’un tampon thermique assurant l’absorption de la chaleur à la compression et sa restitution à la décompression. Or, dans le cas d’un stockage pneumatique sous-­marin, l’eau des profondeurs peut être utilisée comme un gigantesque tampon thermique.

Aspects énergétiques

Le stockage de l’air comprimé en profondeur permet aussi de s’affranchir de la nécessité de concevoir d’épaisses parois: dans un réservoir placé sur le fond, l’air comprimé y est stocké de façon hydrostatique; la pression utile dépend de la profondeur. Sur la base d’un procédé isotherme, l’énergie stockable dans un volume donné peut être déterminée à une profondeur donnée. La densité énergétique volumique de différents moyens de stockage est présentée dans le tableau 1.

En matière de stockage réversible, les batteries ont la plus forte densité volumétrique d’énergie. Mais le volume mobilisable dans un ouvrage tel qu’un barrage est gigantesque et constitue l’un des facteurs-clés du pompage-­turbinage. En ce qui concerne le stockage d’air comprimé sous-marin ou sous-lacustre, les volumes mobilisables sont également très grands tout en présentant un impact sur le paysage très restreint, voire inexistant. Cela constitue un avantage à l’heure où il est difficile de construire de nouveaux barrages.

Quelques réservoirs hydrostatiques

Le principe d’un réservoir hydrostatique consiste à utiliser la pression régnant en profondeur pour confiner l’air comprimé dans une structure légère; de grands volumes sont ainsi disponibles. Différents scénarios ont été imaginés: par exemple des structures souples en forme de ballon nécessitant un arrimage sur les fonds par lest ou système de câbles d’ancrage approprié, tels que les projets «Bulle» [2] et «Energy Bag» [3] illustrés dans la figure 1.

Un réservoir sous forme d’une cuve de béton a également été imaginé; la masse de béton agit ici en tant que lest. L’eau à l’intérieur de la cuve est chassée par l’air comprimé et sert de piston hydrostatique. De telles installations sont à l’étude à Toronto en complément de réservoirs souples. [4]

Profil environnemental / énergie grise

Il s’agit ici de situer l’intérêt du stockage pneumatique au moyen de réservoirs hydrostatiques installés dans les fonds marins et de s’assurer que le bilan environnemental est favorable. Pour ce faire, ce type de stockage a été comparé à d’autres types pour une quantité d’énergie identique et en se limitant au réservoir proprement dit.
Les différents scénarios pris en compte ici sont:

  • le réservoir hydrostatique sous-­lacustre «Bulle» [2], lest effectué au moyen d’une cuve d’acier remplie de gravier, plongé à 100 m de fond;
  • le réservoir hydrostatique sous-­lacustre «Bulle Light», lest effectué au moyen d’une structure souple remplie de gravier, plongé à 100 ou 600 m de fond;
  • la cuve hydrostatique en béton plongée à 100 ou 600 m de fond;
    le réservoir hydrostatique sous-­marin «Energy Bag», ancré au fond à l’aide de câbles par 100 ou 600 m de fond;
  • le réservoir d’acier au sol travaillant à 100 bars;
  • la batterie lithium-ion;
  • la batterie au plomb.

En premier lieu, la méthode «Cumulative Energy Demand» permet d’évaluer l’énergie grise nécessaire à la construction des réservoirs d’une même capacité. Celle-ci est ensuite rapportée à la capacité de stocker 1 MJ 1). Le tableau 2 présente en détail les valeurs obtenues. Dans ce cas d’étude, les batteries Li-ion nécessitent 200 fois leurs capacités pour être fabriquées. Le stockage pneumatique dans des réservoirs souples hydrostatiques, bien que de densité volumique d’énergie relativement faible, est, pour sa part, d’un coût en termes d’énergie grise bien plus restreint que les batteries. Ceci est dû aux grands volumes mobilisables par cette technique.

Pour compléter ces aspects énergétiques et effectuer une analyse plus générale, la méthode «Impact 2002+» synthétise les dommages sur la santé, la qualité des écosystèmes (biodiversité), les changements climatiques (CO2) et les ressources (énergies non renouvelables et minerais). Sur la figure 2, l’échelle en ordonnée correspond à des «points environnementaux» définis par une normalisation se référant aux émissions moyennes européennes.

Les batteries au plomb sont les plus défavorables; le plomb présente un impact sévère sur la santé, car son bilan est particulièrement alourdi par les opérations d’extraction et de raffinage. Le réservoir en acier travaillant à 100 bars est également peu favorable; ceci est dû à la grande masse d’acier nécessaire à sa fabrication, les hauts fourneaux dégageant beaucoup de CO2 et particules fines tout en étant énergivores. Pour la cuve en béton, le bilan n’est pas favorable non plus; ce scénario impacte fortement le changement climatique en raison du CO2 émis lors de la fabrication du ciment.

La comparaison montre clairement que, dans le cas des réservoirs immergés, il vaut mieux travailler à grande profondeur (la densité d’énergie stockable y est plus importante). Par rapport aux batteries Li-ion, les scénarios impliquant une structure souple apparaissent intéressants dès une profondeur de 100 m.

Quel potentiel en Suisse?

Les sites intéressants pour ce type de stockage sont évidemment constitués par les mers affichant des profondeurs importantes à proximité des côtes. La Méditerranée en est un bel exemple. Mais la Suisse, avec ses nombreux lacs, n’est pas en reste. Plus concrètement: quelle capacité de stockage serait envisageable dans le Léman? En imaginant peupler le fond du lac à partir de 100 m de profondeur de ballons de 5 m de rayon, ces réservoirs permettraient de stocker 12 PJ (pétajoules, 1015 J), soit un peu plus que ce que permet la Grande Dixence.

Conclusion

L’objectif de cette petite étude est de situer l’intérêt du stockage pneumatique d’énergie électrique dans des réservoirs hydrostatiques installés dans les fonds des lacs ou des mers, tout en se focalisant sur les aspects d’énergie grise et les impacts environnementaux liés aux réservoirs nécessaires à cette technologie. En premier lieu, on constate que ce type de stockage est parfaitement concurrentiel au regard de la technologie des batteries. En outre, par rapport à cette technologie, il permet plus facilement de concevoir et de construire des capacités de stockage relativement grandes. En deuxième lieu, on observe que les structures souples et légères sont à privilégier («Bulle Light» ou «Energy Bag»). La masse nécessaire au lest est alors à puiser autant que possible sur place ou pourrait aussi être constituée de gravats à très faible empreinte environnementale. Enfin, on constate aussi que la profondeur à laquelle sera plongé le système est un facteur important. À noter que ce type de stockage présente également un avantage du point de vue thermodynamique. En effet, la masse d’eau environnant le système permet de réaliser un excellent tampon thermique.

Enfin, les sites intéressants pour ce type de stockage seront constitués par les fonds des lacs à partir de 100 m de profondeur ainsi que par les fonds océaniques proches des côtes, la Méditerranée en étant géologiquement un exemple. Dans ce cas, ce stockage pourrait être employé en complément d’une production photovoltaïque. Plus loin, sur les marges continentales, il pourrait être utilisé en complément des éoliennes offshore.

La Suisse avec ses nombreux lacs dispose également d’un potentiel important: l’équivalent énergétique de la Grande Dixence pourrait par exemple être stocké en utilisant les fonds du Léman.

Références

[1] S. Lemofouet: Investigation and Optimization of Hybrid Electricity Storage Systems Based on Compressed Air and Supercapacitors. Ph.D. Thesis, EPFL, Lausanne, Switzerland, 2006.
[2] M.X. Stapfer: Projet Bulle – aménagements hydrauliques. Diplôme de génie civil sur proposition de Robert Haldi, EIG, 1995.
[3] S. Garvey et al: Compressed air energy storage has bags of potential. University of Nottingham, 2012.
[4] www.torontohydro.com
[5] J. Badaoui: Stockage d’énergie sous forme d’air comprimé sous-lacustre. Travail de semestre sur proposition de Jacques Richard et de Flavio Noca, HES-SO/hepia, 2012.
[6] Flavio Noca, Jacques Richard, Jalil Badaoui: Le stockage pneumatique d’énergie électrique au fond des lacs ou des mers. Conférence francophone sur l’écoconception et le développement durable en génie électrique, 4e édition, Genève, 2016.

Remerciements

Les auteurs remercient sincèrement Seamus Garvey, Université de Nottingham, pour la mise à disposition des photographies publiées dans cet article.

Notes

1) En effet, mis à part pour le cas des batteries, la taille du réservoir a son importance. Le projet «Bulle» (réservoir hémisphérique de 12,6 m de rayon à 100 m de profondeur) impliquait une capacité de stockage d’environ 11 GJ. Cette valeur a servi pour dimensionner les autres scénarios de stockage. On se rapporte ensuite à une valeur unitaire de 1 MJ, de la même façon qu’est par exemple estimé le coût du kWh.
2) Valeurs calculées sur le logiciel Simapro à l’aide de la base de données ecoinvent (www.ecoinvent.ch).

Photo en début d'article: Energy Bags de l’Université de Nottingham testés en piscine. Source: Université de Nottingham 

Auteur
Jacques Richard

est professeur HES.

  • hepia
    1202 Genève
Auteur
Flavio Noca

est professeur HES.

  • hepia
    1202 Genève

Commentaire

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