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Le Pr Montagnier : un prix Nobel se noie dans la « mémoire de l’eau »...

Publié en ligne le 10 mai 2010 - Homéopathie -

Tout partait pourtant bien ce dimanche 2 mai 2010 sur France Inter (1), dans le 7/9 du week-end. Stéphane Paoli et Sandra Freeman n’avait pas invité n’importe qui : le Pr Luc Montagnier, codécouvreur du virus du SIDA, prix Nobel de médecine 2008. Cela promettait aux auditeurs un grand moment de radio comme seul le service public en a le secret, et ce d’autant plus que cette émission est présentée comme une « session d’information, de discussion et de réflexion » (8). Ce fut effectivement un grand moment, mais de ceux qu’on n’oubliera pas de si tôt parce qu’on n’aurait jamais voulu les vivre. Il n’y a en effet vraiment rien de plus triste que de voir à la fois un prix Nobel de médecine et une radio publique s’égarer…

Jacques Benveniste, nouveau Galilée ?

Dans l’émission dominicale de Stéphane Paoli et de Sandra Freeman, le Pr Montagnier a rendu un vibrant hommage à Jacques Benveniste, le principal protagoniste de l’affaire de la « mémoire de l’eau » (2, 3, 4, 5). Le Prix Nobel de médecine 2008 affirme que, dans cette controverse, « Jacques Benveniste avait raison » et que « un jour prochain il sera complètement réhabilité ». Le codécouvreur du virus du SIDA, va même plus loin : pour lui, l’affaire de la mémoire de l’eau, « c’est une affaire aussi importante que l’affaire Galilée ».

Le Pr Montagnier justifie ses dires par les résultats de ses propres travaux. Ceux-ci confirmeraient la justesse des idées de Benveniste : « ce que j’ai trouvé avec mes collaborateurs, c’est que cet ADN organise l’eau qui est autour et cette eau garde l’information de l’ADN. Alors cela correspond exactement avec ce qu’avait trouvé Jacques Benveniste pour d’autres molécules. » Ou encore : « Nous, nous avons la chance d’avoir un système où tout marche. Ce n’était pas le cas des expériences de Benvéniste. »

La mémoire de l’eau

La « mémoire de l’eau » a fait couler beaucoup d’encre. Jacques Benveniste, chercheur français à l’INSERM, affirmait avoir mis en évidence l’effet d’un produit transmis par une molécule d’eau ayant été au préalable en contact avec ce produit (d’où la formule de « mémoire de l’eau »). Le produit agissant n’est plus là, mais l’eau en a gardé mémoire. Sa découverte aurait permis de réconcilier les affirmations des homéopathes et la chimie d’Avogadro (un effet chimique sans molécule). Ces travaux, commencés en 1985, n’ont jamais pu être reproduits de manière convaincante et indépendante. Notons que si cela avait été le cas, ces résultats auraient posé d’autres problèmes de physique fondamentale pour pouvoir expliquer quels mécanismes permettraient à une simple molécule d’eau de garder la trace de molécules bien plus complexes. Et comment s’organiserait la mémoire de l’eau suite au contact d’un nombre vertigineux de molécules. Luc Montagnier présente, quant à lui, « un modèle expérimental dans lequel des ultra-filtrats de mycoplasmes, bactéries ou virus, apparemment dénués de toute trace de matériel génétique, transmettent néanmoins une information génétique spécifique à des lymphocytes humains mis en culture » (5).

La mémoire de l’eau rend-elle amnésique ?

Le Professeur Montagnier est un scientifique de haut niveau. Il connaît bien la démarche scientifique pour l’avoir pratiquée avec succès dans sa lutte contre le SIDA. En particulier, il n’ignore pas qu’en science, les affirmations doivent être vérifiées, validées, prouvées. Celui qui déclare avoir découvert quelque chose doit montrer ce qu’il a découvert et exposer l’ensemble de ses travaux à la critique de la communauté scientifique. Or, il est extrêmement curieux de constater que le Pr Luc Montagnier, qui prétend depuis 2008 (6) avoir des expériences positives montrant la réalité des idées de Jacques Benvéniste, n’a toujours pas publié le moindre article présentant ses travaux à la communauté scientifique 1 (une simple consultation de la base de données de publications scientifiques PubMed permet de s’en assurer (7))

C’est d’autant plus troublant que, si les prétentions de découvertes réellement révolutionnaires du Pr Montagnier s’avéraient exactes, il se verrait décerner, à n’en pas douter, au moins deux autres Prix Nobel (6), mais surtout, ce serait là le plus sûr moyen de réhabiliter définitivement la mémoire de Jacques Benvéniste, engagement moral réaffirmé lors de l’émission.

Conclusion

Dimanche dernier, une radio du service public a fait passer la conviction intime d’un homme pour une vérité scientifique, sur un sujet qui remettrait en cause toute notre physique et notre chimie, sujet sur lequel il n’existe pas la moindre expérience positive. Le parti pris affiché par Stéphane Paoli durant l’émission traduit une connaissance partielle, et très partiale, de l’affaire de la « mémoire de l’eau », et cette manière de traiter un sujet aussi controversé relève plutôt de la recherche du sensationnel que de l’information respectueuse de ses auditeurs. Ne pouvions-nous pas attendre d’un journaliste, présenté comme un grand professionnel de l’information (8), qu’il se renseigne de façon un peu plus précise, avant de présenter le rejet d’une thèse aussi « abracadabrantesque » que celle de la mémoire de l’eau comme une injustice et un dysfonctionnement de la communauté scientifique ? Ceci est d’autant plus regrettable, que France Inter peut toucher un grand nombre d’auditeurs qui lui font naturellement confiance. En cela, elle dispose d’un grand pouvoir. Mais à grand pouvoir, grande responsabilité…

Mis à jour le 14-05-2010

Références

1 | France Inter, Le sept neuf du dimanche, émission du 2 mai 2010.
2 | Henri Broch, "Mémoire de l’eau 1".
3 | Henri Broch, "Mémoire de l’eau 2".
4 | Henri Broch, "Mémoire de l’eau 3".
5 | Jacques Benveniste et la mémoire de l’eau : quelques souvenirs personnels.
6 | Mémoire de l’eau et biologie numérique.
7 | http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed
8 | http://sites.radiofrance.fr/francei....

1 Depuis la mise en ligne de cet article, un lecteur nous a indiqué une publication, non référencée dans PubMed. Donc, revue peu connue, mais surtout, aucune confirmation ou réplication à ce jour.