Température de Curie

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Température de Curie de quelques matériaux ferromagnétiques[1],[2],[3].
Matériau (K)
Co 1 388
Fe 1 043
Fe2B[4] 1 015
SmCo5[5] 995
Fe3O4 858
NiFe2O4 858
CuFe2O4 728
MgFe2O4 713
MnBi 630
Cu2MnAl 630
Ni 627
MnSb 587
Nd2Fe14B[5] 585
MnB 578
MnFe2O4 573
Y3Fe5O12 560
Cu2MnIn 500
CrO2 386
MnAs 318
Gd 292
Au2MnAl 200
Dy 88
EuO 69
CrI3 monocouche[6] 45
CrBr3 37
EuS 16,5
GdCl3 2,2

La température de Curie (ou point de Curie) d'un matériau ferromagnétique ou ferrimagnétique est la température à laquelle le matériau perd son aimantation permanente. Le matériau devient alors paramagnétique[7]. Ce phénomène a été découvert par le physicien français Pierre Curie en 1895[7].

L’aimantation permanente est causée par l’alignement des moments magnétiques. La susceptibilité magnétique au-dessus de la température de Curie peut alors être calculée à partir de la loi de Curie-Weiss, qui dérive de la loi de Curie.

Par analogie, on parle également de température de Curie pour un matériau ferroélectrique. Elle désigne alors la température à laquelle le matériau perd sa polarisation permanente. Cette température est habituellement marquée par un maximum de la constante diélectrique.

Transitions de phases[modifier | modifier le code]

De par leurs propres moments magnétiques orbital et de spin, les électrons, tout comme le noyau de l’atome, contribuent au moment magnétique total d'un atome. Le moment magnétique du noyau est toutefois négligeable par rapport à la contribution électronique, avec (avec ~ 5 × 10−27 A m2 et de l'ordre de grandeur du magnéton de Bohr, soit ~ 10−23 A m2)[8]. Dans les matériaux ferromagnétiques, paramagnétiques, ferrimagnétiques et antiferromagnétiques, les moments magnétiques s'ordonnent, dû à la présence de l'interaction d'échange. L'agitation thermique entraine une hausse d’énergie pour les électrons, causant un désordre par mouvement brownien et la disparition de l'ordre magnétique.

Les matériaux ferromagnétiques, paramagnétiques, ferrimagnétiques et antiferromagnétiques ont des moments magnétiques intrinsèques différents. C'est à une température de Curie spécifique qu’un matériau change de propriétés magnétiques. Par exemple, la transition de l’état antiferromagnétique à l’état paramagnétique (ou vice versa) se produit à la température de Néel qui est analogue à la température de Curie.

Liste des différentes transitions de phases possibles :

En dessous de
Au-dessus de
Ferromagnétique Paramagnétique
Ferrimagnétique Paramagnétique
En dessous de
Au-dessus de
Antiferromagnétique Paramagnétique

Le point de Curie caractérise donc la transition de phase entre deux états magnétiques :

  • au-dessous de le matériau peut donc posséder une aimantation permanente ; cet état se caractérise par une interaction des moments magnétiques leur permettant de garder une même orientation à grande échelle ;
  • au-dessus de le matériau est paramagnétique et ne peut donc posséder qu'une aimantation temporaire, générée par un champ magnétique extérieur ; cet état se caractérise par un désordre d'orientation en l'absence de champ extérieur, dû à l'agitation thermique.

La transition entre les deux états est réversible.

Changer la température de Curie[modifier | modifier le code]

Matériaux composites[modifier | modifier le code]

Un matériau composite est composé de plusieurs matériaux avec différentes propriétés, ce qui peut changer la température de Curie. L’alignement des moments magnétiques dans un matériau composite affecte la température de Curie. Si ces moments sont parallèles entre eux, la température de Curie augmente. Au contraire s’ils sont perpendiculaires entre eux, elle diminue[9], car la destruction de l’alignement demandera plus ou moins d’énergie thermique. La fabrication d’un matériau composite à travers différentes températures peut amener à différentes compositions qui ont des températures de Curie différentes[10]. Le dopage peut également la modifier[10].

La densité d’un matériau nanocomposite change la température de Curie. Les nanocomposites sont des structures compactes à l’échelle nanométrique. Ces structures peuvent avoir des températures de Curie différentes, mais le matériau en lui-même n’en possède qu’une, médiane à celle de toutes les structures présentes en son sein. Une plus grande densité de structures à température de Curie basse donne lieu à une température de Curie médiane plus basse et inversement avec une plus grande densité de structures à température de Curie haute. Au-delà d’une dimension, la température de Curie augmente car les moments magnétiques ont besoin de plus d’énergie thermique pour compenser l'énergie de la structure ordonnée[11].

Taille des particules[modifier | modifier le code]

La température de Curie change avec la taille des particules d’un matériau. En effet, la petite taille des nanoparticules rend plus importante la fluctuation des spins électroniques. La température de Curie chute donc brutalement quand la taille des particules diminue car la fluctuation cause du désordre au sein de la structure du matériau. La taille des particules affecte également l’anisotropie du matériau, ce qui impacte l'alignement des moments magnétiques de ce dernier[12],[13].

La température de Curie des nanoparticules est aussi affectée par la structure du réseau cristallin. Par exemple, les réseaux cubique centré (CC), cubique à faces centrées (CFC) et hexagonal ont tous des températures de Curie différentes en raison des interactions différentes entre moments magnétiques voisins. Les réseaux CFC et hexagonal ont des structures plus compactes que le réseau CC et donc des températures de Curie plus importantes car l'effet d'interaction entre les moments magnétiques est plus important dans les structures plus compactes[12]. C’est ce qu’on appelle l’indice de coordination, qui correspond au nombre d’atomes voisins les plus proches dans une structure cristalline. Dans les structures compactes, l’indice de coordination pour la surface est plus important, ce qui augmente l'interaction entre les moments magnétiques du matériau[12]. Même si les fluctuations des particules peuvent être extrêmement faibles, elles sont très dépendantes de la structure cristalline car elles réagissent avec les particules voisines les plus proches. Les fluctuations sont également affectées par les interactions d’échange[13], les moments magnétiques parallèles étant favorisés et donc moins désordonnés. Une structure cristalline plus compacte induit donc une température de Curie plus importante.

Pression[modifier | modifier le code]

La pression change la température de Curie d’un matériau. L’augmentation de la pression sur le réseau cristallin fait décroître le volume du système. La pression affecte directement l’énergie cinétique des électrons, car l’augmentation de leurs déplacement perturbe l’ordre des moments magnétiques[14].

La pression affecte la densité d’états électroniques[14]. Une densité d’états qui baisse cause la chute du nombre d’électrons libres dans le système. Ceci conduit à la baisse du nombre de moments magnétiques, car ils dépendent des spins électroniques. On pourrait donc penser qu’à cause de cela la température de Curie baisse, mais elle augmente. Ceci est le résultat des interactions d’échange, qui favorisent l’alignement parallèle des moments magnétiques[15]. Ce phénomène est d’autant plus accentué que le volume du réseau cristallin décroît. Ceci montre que la température de Curie baisse avec l’augmentation de la pression[14].

On constate aussi que la concentration des particules affecte la température de Curie quand on applique une pression sur le matériau. Cela peut conduire à une baisse de la température de Curie quand la concentration est supérieure à un certain pourcentage[14].

Orbitales atomiques[modifier | modifier le code]

La forme des orbitales atomiques change également la température de Curie d’un matériau. Elle peut être contrôlée par l’application d’une déformation[16]. Avoir le contrôle sur la probabilité de présence des électrons permet d’altérer la température de Curie. Par exemple, les électrons libres peuvent être déplacés dans le même plan cristallin par application d’une déformation sur le réseau[16].

On remarque alors que la température de Curie augmente de manière importante, les électrons étant compactés ensemble dans le même plan cristallin. Ils sont forcés de s’aligner à cause des interactions d’échange et la force des moments magnétiques augmente donc.

Profondeur du point de Curie dans la Terre[modifier | modifier le code]

La Terre est composée de matériaux dont certains ont des propriétés ferromagnétiques à sa surface. Il existe une profondeur à partir de laquelle ces matériaux perdent leur caractère ferromagnétique et deviennent paramagnétiques. Parmi les matériaux qui constituent la Terre, les matériaux potentiellement ferromagnétiques sont le fer-nickel du noyau et divers oxydes des roches de la croûte et du manteau, dont le principal, quantitativement, est la magnétite Fe3O4. La température moyenne du noyau externe étant d'environ 4 000 °C, le fer le composant à 85 % est dans une phase paramagnétique. Il en est de même pour le nickel qui compose 5 % du noyau terrestre. Le noyau interne est à une température encore plus importante (6 000 °C). Il reste la magnétite, présente dans le manteau, qui subit un changement de phase à une profondeur spécifique.

À l'intérieur de la Terre, le point de Curie est atteint à relativement faible profondeur, dans la croûte ou dans les zones les plus superficielles du manteau supérieur. Dans la péninsule Ibérique et ses marges, par exemple, la profondeur du point de Curie (CPD, pour Curie-point depth) varie entre 17 et 29 km[17]. Cette profondeur, assimilable à l'isotherme 580 °C[a], peut être calculée à partir de mesures géomagnétiques (c'est le plancher des anomalies magnétiques, que l'on peut reconstituer en 3D à partir des mesures du champ géomagnétique).

Température de Curie dans les matériaux ferroélectriques[modifier | modifier le code]

Par analogie avec les matériaux ferromagnétiques et paramagnétiques, le terme température de Curie est aussi utilisé pour désigner la température à laquelle un matériau ferroélectrique devient paraélectrique.

est la température à laquelle les matériaux ferroélectriques perdent leur polarisation spontanée en subissant un changement de phase de premier ou second ordre, c’est-à-dire que la structure interne ou la symétrie interne du matériau change[18],[19].

Polarisation en fonction du champ électrique .
Figure 1 - En dessous de .
Figure 2 - Au-dessus de .
En dessous de
Au-dessus de [20]
Ferroélectrique Diélectrique (paraélectrique)

Les matériaux ferroélectriques sont tous pyroélectriques et possèdent donc une polarisation électrique spontanée du fait de leur structure cristalline.

La polarisation des matériaux ferroélectriques est sujette à un cycle d'hystérésis (Figure 1). Lorsqu’un un champ électrique est appliqué, la proportion de domaines ferroélectriques orientés dans le même sens que le champ extérieur grandit, entrainant l'augmentation de la polarisation. Lorsque le champ est retiré, la polarisation subsiste. Le cycle d’hystérésis dépend de la température : lorsque celle-ci atteint , le cycle laisse place à une courbe représentant la polarisation diélectrique (Figure 2)[21].

Applications[modifier | modifier le code]

La transition ferromagnétique-paramagnétique induite par la température est utilisée dans le domaine du stockage magnéto-optique, pour la suppression et l’écriture de données, par exemple dans le format MiniDisc de Sony ou le format CD-MO. D’autres utilisations incluent notamment le contrôle de température dans les fers à souder[22], les cuiseurs de riz et la stabilisation du champ magnétique des compte-tours face aux variations de température[23].

Notes et références[modifier | modifier le code]

Notes[modifier | modifier le code]

  1. Cette assimilation de la profondeur du point de Curie à celle de l'isotherme 580 °C repose sur l'hypothèse que les roches du sous-sol ont pour principal minéral ferromagnétique la magnétite. Cette hypothèse peut être en défaut si les roches en question sont très riches en titane (qui a pour effet d'abaisser la température de Curie), ou si en dessous des sources des anomalies magnétiques se trouvent des roches entièrement dépourvues de minéraux ferromagnétiques. Mais ces cas particuliers sont très rares[17].

Références[modifier | modifier le code]

  1. Buschow 2001, p5021, table 1.
  2. Jullien et Guinier 1989, p. 155.
  3. Kittel 1986.
  4. (en) HyperPhysics, université d'État de Géorgie, « Ferromagnetic Curie Temperatures » (consulté le ).
  5. a et b Matériaux magnétiques en génie électrique - Hermes Sciences - 2006.
  6. (en) Bevin Huang, Genevieve Clark, Efrén Navarro-Moratalla, Dahlia R. Klein, Ran Cheng, Kyle L. Seyler, Ding Zhong, Emma Schmidgall, Michael A. McGuire, David H. Cobden, Wang Yao, Di Xiao, Pablo Jarillo-Herrero et Xiaodong Xu, « Layer-dependent ferromagnetism in a van der Waals crystal down to the monolayer limit », Nature, vol. 546, no 7657,‎ , p. 270–273 (DOI 10.1038/nature22391, lire en ligne).
  7. a et b « Point de Curie », encyclopédie Larousse (consulté le ).
  8. Jullien et Guinier 1989, p. 136–38.
  9. Hwang et al. 1998.
  10. a et b Paulsen et al. 2003.
  11. Skomski et Sellmyer 2000.
  12. a b et c Bertoldi, Bringa et Miranda 2012.
  13. a et b López Domínguez et al. 2013.
  14. a b c et d Bose et al. 2011.
  15. Hall et Hook 1994, p. 220–21.
  16. a et b Sadoc et al. 2010.
  17. a et b (en) J. Andrés, I. Marzán, P. Ayarza, D. Martí, I. Palomeras et al., « Curie Point Depth of the Iberian Peninsula and Surrounding Margins. A Thermal and Tectonic Perspective of its Evolution », Journal of Geophysical Research: Solid Earth, vol. 123, no 3,‎ , p. 2049-2068 (DOI 10.1002/2017JB014994).
  18. Myers 1997, p. 404–05.
  19. Webster 1999.
  20. Kovetz 1990, p. 116.
  21. Pascoe 1973, p. 190–91.
  22. TMT-9000S.
  23. Pallàs-Areny et Webster 2001, p. 262–63.

Articles[modifier | modifier le code]

Ouvrages[modifier | modifier le code]

  • (en) Robert Brout, Phase Transitions, New York, Amsterdam, W. A. Benjamin, Inc., .
  • (en) K. H. J. Buschow, Encyclopedia of Materials: Science and Technology, Elsevier, (ISBN 0-08-043152-6).
  • (en) N. Cusack, The Electrical and Magnetic Properties of Solids, Longmans, Green, (lire en ligne Inscription nécessaire).
  • (en) Adrianus J. Dekker, Solid State Physics, Macmillan, (ISBN 9780333106235).
  • (en) H. Y. Fan, Elements of Solid State Physics, Wiley-Interscience, (ISBN 9780471859871).
  • (en) J. R. Hall et H. E. Hook, Solid State Physics, Chichester, Wiley, , 2e éd. (ISBN 0471928054, lire en ligne Inscription nécessaire).
  • (en) Rolf E. Hummel, Electronic Properties of Materials, New York [u.a.], Springer, , 3e éd. (ISBN 0-387-95144-X).
  • (en) Harald Ibach et Hans Lüth, Solid-State Physics: An Introduction to Principles of Materials Science, Berlin, Springer, , 4e éd. (ISBN 9783540938033).
  • (en) André Jullien et Rémi Guinier, The Solid State from Superconductors to Superalloys, Oxford, Oxford Univ. Press, (ISBN 0198555547).
  • (en) Charles Kittel, Introduction to Solid State Physics, John Wiley & Sons, , 6e éd. (ISBN 0-471-87474-4).
  • (en) Charles Kittel, Introduction to Solid State Physics, New York [u.a.], Wiley, , 7e éd. (ISBN 0471111813).
  • Charles Kittel (trad. Nathalie Bardou, Évelyne Kolb), Physique de l’état solide [« Solid state physics »], [détail des éditions].
  • (en) Attay Kovetz, The Principles of Electromagnetic Theory, Cambridge, UK, Cambridge University Press, , 1re éd. (ISBN 0-521-39997-1).
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  • (en) K. Mendelssohn, The Quest for Absolute Zero: The Meaning of Low Temperature Physics, London, Taylor and Francis, , 2e éd. (ISBN 0850661196).
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Liens externes[modifier | modifier le code]

Articles connexes[modifier | modifier le code]