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Révolution dans la manipulation des gènes

Une nouvelle technique de modification du génome, CRISPR-Cas9, s’est répandue comme une traînée de poudre dans les laboratoires. Et soulève de graves questions éthiques.

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La technique CRISPR-Cas9 permet de réduire considérablement le temps et le coût d’une modification génétique.

Par Yann Verdo

Publié le 2 janv. 2016 à 16:12

CRISPR-Cas9. Retenez bien ce sigle imprononçable, car vous n’allez pas tarder à en entendre parler, et de plus en plus souvent. Derrière cet acronyme anglais à rallonge, si rébarbatif qu’il semble avoir été inventé exprès pour décourager le profane d’aller plus loin, se cache un nouvel outil d’ingénierie génétique qui, depuis sa mise au point en 2012, s’est répandu comme une traînée de poudre dans les laboratoires du monde entier, suscitant une déferlante de publications scientifiques et de colloques internationaux réunissant tous les pontes de la recherche génomique… Un outil, ­surtout, qui peut changer le cours de notre civilisation et faire basculer l’humanité dans une nouvelle ère qui ressemble à s’y méprendre à celle dans le film de science-fiction « Bienvenue à Gattaca ».

La biologiste américaine Jennifer Doudna de l’université de Berkeley, l’une des deux scientifiques à qui revient le re­doutable honneur d’avoir inventé cet outil révolutionnaire, a elle-même appelé au printemps, dans un plaidoyer publié par la revue « Science », pour un moratoire temporaire sur son utilisation, s’agissant du moins des expériences réalisables sur le génome de l’embryon humain. Tel le Dr Franken­stein effrayé par sa propre créature.

Accessible au niveau master

Nouvelle technique de modification du génome dérivée d’un mécanisme de défense des bactéries, CRISPR-Cas9 n’est pas la première du genre. Avant elle, les généticiens savaient déjà se servir de nucléases, ces enzymes ayant la propriété de pouvoir découper la chaîne d’ADN en un endroit précis (ce qu’est la protéine Cas9), comme d’une paire de ciseaux pour refaçonner à volonté le patrimoine génétique du vivant. Les nucléases dites « à doigt de zinc » (ZFN), utilisées depuis 2002, ou, plus souples et plus fiables, les nucléases TALEN, apparues dans les laboratoires en 2010, étaient déjà couramment utilisées. Mais CRISPR-Cas9 représente la même avancée que l’avènement du traitement de texte par rapport à nos bonnes vieilles machines à écrire d’antan, avec leurs malcommodes rubans correcteurs.

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Alors que les nucléases classiques, pour se lier au gène cible, nécessitaient la fabrication sur mesure de longs fragments protéiques, opération complexe, longue et coûteuse, il en va tout autrement avec CRISPR-Cas9. Cette technique ne présente pas d’autres contraintes que de synthétiser de petites chaînes d’ARN, une technique de routine. Résultat : « Introduire une modification génétique peut désormais se faire en une semaine, contre plusieurs mois auparavant, et pour un coût dérisoire », observe David Bikard, directeur du laboratoire de biologie de synthèse de l’Institut Pasteur. Il note qu’avec cette technique, les manipulations sur le patrimoine génétique de cellules humaines se sont démocratisées au point d’être désormais effectuées en travaux pratiques par des étudiants en master de biologie ! « Qui plus est, poursuit-il, il est devenu possible d’introduire plusieurs modifications à la fois, ce qui était irréalisable auparavant. »

Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi la microbiologiste et ­biochimiste Emmanuelle Charpentier, co-inventrice de la technique CRISPR-Cas9 avec Jennifer Doudna, est devenue du jour au lendemain, à quarante-quatre ans, une vraie star dans son milieu, régulièrement citée pour le prix Nobel et seule Française à figurer au palmarès 2015 de « Time » des 100 personnalités qui comptent dans le monde.

Les implications de cette découverte majeure sont innombrables. Appliquée aux plantes, cette nouvelle technique d’« édition » du génome – vu comme un texte que l’on peut remanier à sa guise – produit des organismes qui ne sont pas, juridiquement parlant, considérés comme des OGM et sont donc suscep­tibles, en l’état actuel de la réglementation, de finir assez vite dans nos assiettes. Du côté des animaux, une start-up du Minnesota, Recombinetics, a utilisé l’édition du génome pour donner naissance à des vaches laitières sans cornes. Des biologistes californiens ont modifié l’ADN de moustiques de telle sorte que non seulement ils ne transmettent pas la malaria mais, surtout, qu’ils transmettent cette caractéristique à leur descendance ­chaque fois qu’ils se reproduisent…

Bébés génétiquement modifiés

Sur le front de la lutte contre les maladies génétiques, l’édition du génome constitue une arme redoutable dans la main des médecins. Le succès obtenu en mars dernier par une équipe du MIT sur des souris, qui ont été guéries d’une maladie du foie jusque-là réputée incurable, est venu concrétiser le potentiel médical de CRISPR-Cas9. Et les applications sur l’homme se feront d’autant moins attendre que la nouvelle technique est d’une grande fiabilité. Le risque de provoquer des modifications génétiques non désirées – ce que les spécialistes appellent les « off-targets effects » – est faible. « Il a encore diminué depuis que l’équipe de Feng Zhang au MIT [qui dispute au duo Emmanuelle Charpentier-Jennifer Doudna l’antériorité de la découverte de CRISPR-Cas9, NDLR] a publié début décembre dans “Science” une étude présentant un variant de la protéine Cas9 ciblant encore mieux le (ou les) gène(s) visé(s) », note David Bikard. Comme Emmanuelle Charpentier l’écrivait elle-même en octobre dans la revue « Pour la science » : « une chirurgie précise et universelle des génomes [peut] commencer ».

Au-delà des aspects médicaux, c’est bien la recherche génétique qui a le plus à gagner de l’avènement de CRISPR-Cas9. Alors que le séquençage à haut débit a permis de décrypter les génomes de milliers d’espèces et d’encore plus d’individus, et que les études d’association établissent des corrélations entre génotypes et phénotypes, mais sans pouvoir les expliquer, CRISPR-Cas9 offre la possibilité de connaître la base moléculaire de ces corrélations. En supprimant un gène donné, on peut en effet déterminer précisément quelle était sa fonction.

Naturellement, les problèmes éthiques soulevés par cette révolution technique sont à la mesure des nouvelles possibilités qu’elle offre – c’est-à-dire gigantesques. Vouloir débarrasser son futur bébé d’une maladie génétique grave comme la myopathie semble parfaitement légitime ; mais cela l’est déjà moins s’il s’agit, disons, d’un léger strabisme ; et que dire des parents qui désireront se servir de cet outil pour choisir la couleur des yeux de leur progéniture ?

La question éthique se pose avec d’autant plus d’acuité que CRISPR-Cas9 peut être ­utilisé sur deux types de cellules : les cellules différenciées d’un organisme, auquel cas les modifications introduites ne se transmettent pas à sa descendance ; mais aussi les cellules reproductrices, pour lesquelles ces modifications sont transmissibles, et donc en mesure d’orienter l’évolution d’une espèce. Conscient de ce danger, le gratin mondial de la géno­mique, qui s’est réuni début décembre à Washington à l’invitation de l’Académie américaine des sciences pour discuter des enjeux de CRISPR-Cas9, a appelé à la plus grande vigilance. Cela suffira-t-il à éviter les dérives ?

Yann Verdo

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