L'incendie qui autorise à construire en paille des ERP sur deux étages

Un essai incendie réalisé au CSTB sur une paroi en caissons isolés avec des bottes de paille a permis de démontrer que la paille peut satisfaire le règlement de sécurité contre l'incendie relatif aux établissements recevant du public. Chronique d'un feu de paille qui va peut-être changer la face des établissements recevant du public.

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Juin 2007, les architectes Sonia Cortesse et Bernard Dufournet, associés au bureau d'études Gaujard Technologie Scop, viennent de remporter l'appel d'offres lancé par la ville d'Issy-les Moulineaux (92) pour construire la nouvelle école primaire et maternelle, un bâtiment sur deux étages qui devra être passif.
Le Bureau d'études avignonnais, spécialisé dans l'enveloppe et la structure des bâtiments en bois, a déjà participé à plusieurs projets utilisant la paille comme matériau isolant, mais toujours dans le cadre de maisons individuelles ou de projets privés. Cette fois-ci, il s'agit d'une commande publique et d'un établissement recevant du public (ERP). L'équipe de maîtrise d'œuvre sait pertinemment qu'utiliser la paille pour isoler le bâtiment fait aller au devant de difficultés. Mais ils savent aussi que la longue tractation qui doit avoir lieu pour le foncier sur lequel se construira la future école peut permettre de leur laisser le temps suffisant pour les surmonter. Ils décident de remplir les façades de l'ERP avec le produit de la moisson et la levée de boucliers attendue ne tarde pas.
Le bureau de contrôle en charge du projet, Socotec, n'arrive pas à classer ce type de montage dans le référentiel normatif en vigueur, en l'occurrence l'instruction technique n°249 relative aux façades du Règlement de sécurité contre l'incendie, concernant le passage des flammes ou des gaz chauds d'un étage à l'autre.
L'équipe de maîtrise d'œuvre lui présente des essais d'un laboratoire allemand « réputé mondialement », ayant permis de quantifier à 1h30 le degré coupe-feu d'une botte de paille revêtue d'un enduit. Le bureau de contrôle du projet se refuse à prendre en considération ces essais qui ne répondent pas à la question posée par l'IT 249 qui concerne un montage plancher/façade et non pas un matériau. Appliquant la réglementation, Socotec demande l'avis d'un laboratoire français agréé, CSTB ou Efectis, et l'approbation du CECMI, organisme en charge de l'étude et de la classification des matériaux de construction par rapport au risque incendie.
Les laboratoires spécialisés dans la sécurité incendie ne peuvent pas, comme ils en ont l'habitude, évaluer et valider ce montage par analogie avec des solutions techniques connues car il n'existe rien, à ce jour, de comparable. Il ne reste plus qu'une solution pour l'équipe de maîtrise d'œuvre : simuler un incendie en grandeur réelle comme le prévoit le règlement.

Un incendie rassurant

Juillet 2009, devant le local expérimental pour incendie réel du CSTB (Lepir 2) se dresse, sur deux niveaux, une façade en caissons, isolés avec des bottes de paille.
Le feu est allumé au niveau inférieur. Les vitrages du niveau N sont détruits en premier. Le degré coupe-feu à atteindre est de 30 minutes. Il sera atteint si la température au niveau supérieur n'excède pas 180° et si les gaz de combustion ne se propagent pas à l'étage. L'essai est prolongé jusqu'à la trentième minute avec mesure des flux thermiques.
Deux mois plus tard, l'analyse des mesures effectuées par le CSTB permet d'affirmer que la façade testée est conforme aux exigences de la réglementation concernant la résistance au feu. Le rapport est validé par le CECMI (réunion du 1er décembre 2009, le compte rendu doit encore être validé) : une façade en R+2 de type rideau dont l'ossature et les remplissages sont constitués essentiellement des matériaux bois et paille de blé satisfait le règlement de sécurité contre l'incendie relatif aux établissements recevant du public.
Cette validation ne concerne, pour l'instant, que les montages du type testé et limitée aux ERP en R+2. Olivier Gaujard travaille actuellement à une définition du domaine d'application de cet essai qu'il proposera au CECMI pour validation.

"lève un verrou psychologique chez les personnes en charge de la sécurité incendie"

Pour Olivier Gaujard, qui parle de la botte de paille comme "le matériau le plus high-tech du moment", cet essai a permis de "lever un verrou psychologique chez les personnes en charge de la sécurité incendie". Le CSTB a même invité ce dernier à venir en parler à Berlin lors d'un séminaire consacré au sujet de la sécurité incendie dans les constructions en bois.
Néanmoins, pour Olivier Gaujard, il est important d'enfermer les bottes dans des caissons en amont des travaux, pour la sécurité incendie lors du chantier. Même si une botte est coupe-feu, sa surface est facilement inflammable et un mégot jeté, un coup de chalumeau ou un acte de vandalisme pourrait autrement provoquer de graves dégâts pendant la construction.
Cet essai ouvre la voie pour l'utilisation de la paille pour la construction de bâtiments publics en R+2. Pour les ouvrages plus hauts et pour l'utilisation de bottes de paille « porteuse », il faudra d'autres essais... En attendant, le Meeddm prépare l'élaboration d'un label sur les matériaux bio-sourcés et Olivier Gaujard voit des agriculteurs régler leurs machines agricoles afin de livrer des bottes dont les tolérances dimensionnelles soient conformes à celles requises par les Règles Professionnelles de la Construction en Paille en cours de validation par le CSTB.

Pour visionner l'intégralité de l'essai au feu, cliquez-ici

Pour télécharger le rapport d'essai concernant le comportement au feu de la façade, allez plus bas

Vue de la façade après l'essai au feu
Vue de la façade après l'essai au feu
La façade au regard des articles CO20 à CO22 du règlement ERP

L'utilisation d'un revêtement en bois classé M3, sur une façade pour laquelle un C+D est demandé, satisfait l'article CO20.
L'essai a permis de constater que l'étanchéité aux flammes et aux gaz chauds au nez de dalle est assurée pour une durée supérieure à 30 minutes, conformément à l'article CO 21. Afin d'éviter l'effet de cheminée sur la façade testée, des recoupements ont été réalisés à chaque niveau. Cette disposition est plus sécuritaire que l'exigence de l'article CO21
Le C+D mesuré après l'essai présente une valeur de 1870 mm. Dans cette détermination, il a été pris en compte une valeur du D de 540 millimètres (dans le respect de la définition du D donnée par l'IT 249). Si l'on prend en compte la vitesse d'inflammation des embrasures de fenêtres et la ruine précoce des vitrages N+1, l'effet du D pour la façade testée est négligeable. Pour cette raison nous estimons que dans le calcul du C+D pour ce type de façade, le D ne doit pas être pris en compte si les embrasures sont en matériau combustible (M2, M3 ou M4). En revanche, dans le cas d'un D supérieur ou égal à 150 mm, en saille par rapport au nu extérieur de la façade, qui comporterait sur le chant supérieur un matériau incombustible ou M1, son rôle serait alors très important pour le C+D et devrait être pris en compte dans le calcul.
Par conséquent, sachant que la masse combustible mobilisable est supérieure à 80 MJ/m2, nous estimons que pour la façade testée la valeur minimale du C doit être limitée à 1300 mm pour satisfaire à l'article CO21.
La façade testée est estimée satisfaire les exigences de l'article CO22.

La façade au regard de l'arrêté du 10 septembre 1970

Détermination du C + D
L'indice C + D est déterminé au sens de l'arrêté du 10 septembre 1970. Compte tenu du déport du nu extérieur des parties non détruites de la façade par rapport au nu extérieur des vitrages, l'indice D est considéré égal à 540 millimètres.
L'indice C est constitué par la hauteur non détruite des panneaux d'allège après essai.
L'indice C + D mesuré après essai présente une valeur de 1330 + 540 = 1870 millimètres.

Etanchéité au nez de plancher
L'étanchéité aux flammes et aux gaz chauds au nez de dalle est assurée pour une durée supérieure à 30 minutes.

Propagation des flammes au N+2
L'élément de façade présenté à l'essai n'a pas satisfait au critère de non propagation du front de flammes jusqu'au niveau N+2. Mais le CSTB estime que ceci n'est pas préjudiciable pour la façade du bâtiment objet de cette étude, étant donné que la durée de résistance au feu exigée est limitée à 30 minutes. A cela s'ajoute le fait que le bâtiment concerné par cette façade est un R+2.

Coût et financement de l'essai

Coût de l'essai  : 60 000 euros

Financement
Région Paca : 35%
Au-delà du fait que le bureau d'étude à l'initiative de l'essai, Gaujard Technologie Scop, soit basé à Avignon, si la région PACA a souhaité s'associer à l'initiative, c'est que l'utilisation de la paille dans le bâtiment répond à une problématique régionale. En effet, les pailles de riz et de lavande ne pouvant plus être brulées en plein champ et étant difficile à composter, la région Paca cherche d'autres voies pour la valoriser.

Feder (Fonds européen de développement régional) : 35%

Equipe de maîtrise d'œuvre : 30%

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