“Aujourd’hui, je vous demande d’aider à sauver les bébés africains, de la même façon que vous le faites pour l’environnement. Les bébés africains ne bénéficient pas d’un puissant mouvement qui mène campagne pour leur bien-être.” Le 15 septembre 2006, le directeur du programme de lutte contre le paludisme au sein de l’Organisation mondiale de la santé, Arata Kochi, s’est directement adressé aux organisations écologistes opposées à l’usage du DDT. C’est que “l’OMS a modifié une politique suivie depuis trente ans et a affirmé son soutien à l’usage du DDT dans les habitations, afin de lutter contre les moustiques dans les régions où le paludisme est un problème de santé majeur”, note le Washington Post. Arata Kochi a néanmoins limité l’usage du pesticide “à une diffusion, une ou deux fois par an, sur les murs intérieurs des habitations et notamment les huttes en terre et en chaume”, explique le Washington Post.

Environ 1 million de personnes à travers le monde meurent chaque année du paludisme. La majorité sont des enfants africains de moins de 5 ans. La maladie représente une menace pour 3,2 milliards de personnes. En Amérique du Nord, en Europe du Sud, au Maghreb et au Moyen-Orient, le paludisme a pu être éradiqué notamment grâce à l’utilisation du DDT. “Le programme d’éradication du paludisme lancé par la conférence de l’OMS à Kampala, en 1950, a fait du DDT la pierre angulaire de la lutte contre le paludisme et a permis une chute de la maladie en Asie, en Amérique latine et en Afrique australe. Selon l’OMS, à la fin du programme, en 1969, environ 700 millions de personnes avaient été sauvées de cette maladie”, note The Guardian, de Londres. Sauf que “la majorité de l’Afrique a raté le coche”, tout comme d’autres populations rurales marginalisées d’Asie et d’Amérique latine.

“D’après Kochi, trop de pays africains se sont détournés du DDT à cause de la mauvaise réputation qu’il s’est faite en matière environnementale quand il était largement diffusé sur les cultures, alors que les risques sont inexistants dans le cas d’une diffusion en petite quantité dans les habitations”, signale pour sa part le New York Times. Donc, pas de danger pour les humains ou pour la faune et la flore sauvages ?

Ce n’est pas l’avis de tous. Le Mail & Guardian cite le docteur Paul Saioke, directeur d’une assocation de médecins au Kenya. Selon lui, “le DDT est une réponse à court terme qui entraîne des conséquences à long terme, et l’OMS devrait aider les pays à combattre le paludisme par des moyens plus sains et plus efficaces”. Par ailleurs, l’hebdomadaire sud-africain souligne que “le DDT est l’un des douze produits chimiques à avoir été totalement banni par la convention de Stockholm de 2001 sur les polluants organiques résistants, des substances à la fois toxiques et persistantes dans l’environnement – les plantes, l’eau et les tissus animaux – pendant de nombreuses années”.

Le New Vision de Kampala rapporte qu’un consortium national d’exportateurs de produits agricoles et halieutiques s’oppose à l’usage du DDT, de crainte de provoquer un embargo de la part de leur principal débouché, l’Union européenne. Les marchés européens sont très stricts en la matière, et la moindre trace de contamination des produits ougandais pourrait avoir des effets dévastateurs.

Un autre groupe, le Pesticide Action Network (PAN), a vivement réagi contre le choix de l’OMS et affirme que le DDT peut causer des naissances prématurées et des retards de croissance chez les enfants, rapporte The Washington Post. En fait, le journal souligne le rôle phare joué par la publication en 1962 du livre de Rachel Carson, intitulé Silent Spring, qui a mobilisé le mouvement écologique face aux dangers du DDT. Une mobilisation qui a mené à l’interdiction du pesticide dans les années 1970.

En revanche, The Daily Telegraph dénonce avec virulence dans un éditorial les méfaits du livre de Rachel Carson. “Aucun livre, y compris le Protocole des Sages de Sion [un faux antisémite], n’a tué plus de gens que Silent Spring. Ce livre a fait plus de mal que le DDT lui-même. Espérons que son influence pernicieuse touche enfin à sa fin”, commente le journal de droite britannique.

Outre le soutien de l’OMS, le DDT a ses partisans. “Actuellement, 17 pays africains utilisent des insecticides au moins à l’intérieur des habitations pour combattre le paludisme. Selon l’OMS, 10 de ces pays utilisent le DDT – Erythrée, Madagascar, Ethiopie, Swaziland, Afrique du Sud, Maurice, Mozambique, Zimbabwe, Namibie et Zambie”, rapporte le New York Times.

Par ailleurs, les Etats-Unis ont depuis l’an dernier mis en place l’Initiative contre le paludisme du président Bush, un plan qui, entre autres grâce au DDT, vise à réduire de 50 % la mortalité due au paludisme dans 14 pays subsahariens. Ce projet est doté d’un budget de 1,2 milliard de dollars sur cinq ans, précise le Mail & Guardian. D’après le New York Times, “le docteur Kochi a de puissants alliés, favorables au DDT et plus largement à l’usage d’insecticides, au sein du Congrès américain et de l’administration Bush. D’étranges alliés, pour une agence des Nations unies qui a souvent été en opposition avec la Maison-Blanche.”