Les mathématiques de la portance

 

Les calculs et la plupart des explications (les claires) sont tirés de Hydrodynamique physique de étienne Guyon, Jean-Pierre Hulin et Luc Petit, EDP sciences/CNRS Editions

Le but de cette page est est d’obtenir la formule de la force qui s’oppose au poids d’une aile : la portance. Pour cela, 3 étapes :

  1. décrire le champ de vitesse autour d’un cylindre tournant,

  2. faire le lien entre vitesse et pression,

  3. transformer le cylindre en aile.


La mécanique des fluides est une histoire de champs. Il s’agit en effet de connaître à tout moment les positions et vecteurs vitesses de chaque particule de fluide en mouvement. Cela semble difficile... Mais avec un certain nombre de conditions restrictives (symétrie de l’écoulement, viscosité négligeable), l’étude se simplifie grandement. On se retrouve en effet avec des mouvements entièrement déterminés par des règles de conservation et il devient alors possible que l’étude de fonctions relativement simple nous renseigne sur l’ensemble de nos vecteurs vitesse.



  1. Puce    Fonction de courant

Le champ de vitesse d’un fluide est vectoriel par définition. Pourtant, grâce à la condition d’incompressibilité du fluide et si la description de l’écoulement peut se faire avec 2 coordonnées d’espace seulement (cas d’un écoulement 2D ou axisymétrique), le champ vectoriel peut se ramener à un champ scalaire.
Comment ? La conservation de la masse s’écrit :

div(v)=0

A, v= rot(A)

En effet, la continuité du champ assure que l’on peut y tracer des chemins. C’est-à-dire que de n’importe où, on peut dessiner une trajectoire faite de vecteurs vitesses mis bout à bout. Le champ est alors descriptible comme un ensemble de spaghetti infiniment fins et infiniment proches les uns des autres. Et l’absence de divergence assure qu’aucun spaghetti ne se divise ni qu’aucun ne fusionne puisque toute divergence signifie une création ou disparition de matière et donc pour nous de spaghetti. Du coup, on peut enfiler des bagues (infiniment petites une fois de plus) les unes après les autres tout le long de ces spaghetti sans que ça coince... Et enfiler des bagues sur des spaghettis, cela revient à faire le rotationnel d’un autre champ.

Chaque bague représente un vecteur circulant et donc le rotationnel d’un vecteur en rendant les dimensions infiniment petites. L’ensemble des bagues représentent par conséquent le rotationnel d’un champ de vecteur. Ce dernier décrit aussi bien la situation que le champ des vitesses car une fois notre spaghetti totalement recouvert de bagues, il peut bien disparaître, de toute façon on ne le voit plus, l’ensemble des bagues côte à côte continueront à dessiner le chemin “en creux”. Le rotationnel d’un champ peut donc remplacer le champ de vitesse.


En résumé : partout dans le champ, les vecteurs vitesse suivent des chemins, ou lignes de courant, et si les chemins gardent leur intégrité (=pas de divergence), il peut y avoir circulation autour.

Mais là, on vient seulement de remplacer un champ de vecteur par un autre champ de vecteur, ce n’est pas palpitant.

Regardons de plus près le cas où l’écoulement est plan ou axisymétrique. L’ensemble des vecteurs vitesses, donc des spaghettis, ne dépend que de 2 coordonnées et seule la circulation d’un vecteur perpendiculaire à eux peut les engendrer. Par exemple, pour un champ de vitesse dans le plan (x,y), seule la composante selon z du champ de vecteur A(x,y) aura une circulation (et donc un rotationnel) non nulle. Un champ scalaire Az(x,y) pourra donc engendrer un champ vectoriel 2D v(x,y). On va appeler ψ(x,y) ce champ scalaire, c’est la fonction de courant. Pourquoi ce nom ? Les lignes isoψ suivent les spaghettis. En effet, ψ tourne autour des lignes de courant. Si on bloque ψ à une valeur précise, de proche en proche, on suit la ligne de courant.


  1. Cylindre dans écoulement uniforme à l’infini    Potentiel de vitesse

Si on peut négliger la viscosité du fluide étudié, son écoulement est alors irrotationnel à tout instant (s’il l’est au départ).
Pourquoi ? La viscosité diminue localement  la vitesse de particules de fluide sans modifier leur direction. Elle crée donc un moment cinétique au sein du fluide. En effet, elle brise tout mouvement de translation d’ensemble en le compliquant d’un mouvement de rotation propre, seul apte à modifier des vitesses sans modifier des directions. Prenons un solide en mouvement de translation, on voit bien que tout frottement localisé créera un couple...
A l’inverse, sans viscosité, un mouvement d'ensemble sans rotation propre continue ainsi.
Conséquence : sans viscosité, on a mouvement d’ensemble. Donc la connaissance locale du mouvement de particules permet de proche en proche de connaître le mouvement de toutes. Les vecteurs vitesse dérivent tous les uns des autres ou plus précisément, ils sont tous déterminés par un gradient de potentiel Φ(
r). En effet, l’absence de rotationnel signifie l’absence de frottement et l’absence de frottement entraîne la détermination complète du mouvement comme le suivi d’un gradient d’énergie.
On peut aussi utiliser le langage de la physique statistique. Ici, l’absence de rotationnel entraîne que la variation d’énergie de notre fluide n’a pas de composante entropique. C’est à dire que la diminution d’énergie de notre fluide ne se retrouve pas dispersée dans toutes les directions.

rot(v(r))=0

∃ Φ, v(r)=grad(Φ(r))

On parle alors d’écoulement potentiel !

Attention : le champ des vitesse est irrotationnel malgré qu’il soit lui-même le rotationnel d’un autre champ. Les spaghettis du champ n’entourent pas d’autres spaghettis...

Les lignes de courant vont suivre les gradients de potentiel. Par conséquent, les lignes isoϕ sont perpendiculaires aux lignes isoψ.


  1.     Ecoulement potentiel autour d’un cylindre tournant

Si on ajoute la condition d’incompressibilité à ce qu’on a vu jusqu’ici, on obtient :

div(v)=div[grad(Φ(r))]=ΔΦ(r)=0

La recherche du champ de vitesse vectoriel se ramène à celle des solutions potentielles scalaires de l’équation de Laplace.
Comme l’équation est linéaire, il suffira de sommer des solutions d’écoulement simple pour modéliser des écoulements plus complexes.
On se restreint à 2 dimensions.
Ce qu’on veut, c’est le champ créé par un cylindre tournant dans un écoulement uniforme à l’infini. Il va nous permettre de calculer la poussée exercée sur le cylindre et de ce cylindre tournant on passera ensuite à une aile...

Voilà l’enchaînement des écoulements simples dont on a besoin pour déterminer le champ tant désiré.
Rq : Chaque rectangle est un lien vers le calcul et la représentation du champ.

  1. Ecoulement du à une sourceporteeC.htmlporteeC.htmlporteeC.htmlshapeimage_1_link_0shapeimage_1_link_1


  2. Ecoulement à vitesse uniformeporteeA.htmlporteeA.htmlporteeA.htmlshapeimage_3_link_0shapeimage_3_link_1
                    
    Ecoulement dipolaireporteeD.htmlporteeD.htmlporteeD.htmlshapeimage_4_link_0shapeimage_4_link_1
                       
    tourbillonporteeB.htmlporteeB.htmlshapeimage_5_link_0

            
               

  3. Cylindre dans écoulement uniforme à l’infiniporteeE.htmlporteeE.htmlporteeE.htmlporteeE.htmlshapeimage_9_link_0shapeimage_9_link_1shapeimage_9_link_2


    Cylindre tournant dans écoulement uniforme à l’infiniporteeF.htmlporteeF.htmlporteeF.htmlporteeF.htmlshapeimage_11_link_0shapeimage_11_link_1shapeimage_11_link_2


  1. Puce   Force de portée exercée sur le cylindre tournant :

    La représentation du champ créé par le cylindre tournant dans un écoulement uniforme à l’infini, et surtout son asymétrie verticale, nous montre qu’une force verticale est créée.

    Il suffit de calculer la résultante des forces de pression sur le cylindre à partir du champ de pression en utilisant la relation de Bernoulli qui est ici valable partout puisque l’écoulement est potentiel.

    En prenant un point de référence à l’infini (pression p
    0, vitesse U) on obtient :



    d’où



    En intégrant la projection sur l’axe verticale sur la circonférence du cylindre, on obtient la résultante des forces de pression par unité de longueur (en épaisseur) sur le cylindre, soit la portance par unité de longueur :





    De façon plus générale, la portance ne dépend pas de la forme de l’obstacle mais seulement de la circulation autour de cet obstacle.
    En effet, la forme ne compte pas car l’écoulement autour de l’obstacle peut être écrit comme la somme d’un écoulement uniforme et d’un tourbillon prenant en compte l’influence de la circulation de l’obstacle sur l’écoulement. A cela s’ajoute le potentiel prenant en compte la modification due à la forme de l’obstacle. Ce potentiel peut s’écrire comme un développement multipolaire où le terme dominant est le terme dipolaire puisque l’obstacle n’est pas une source. Dans le cas d’un cylindre, le terme dipolaire est la solution exacte mais quelque soit la forme, ni lui, ni les termes d’ordres supérieurs ne contribuent à la force de portance. Pour qu’il y ait portance, il faut que la somme de l’ensemble des vecteurs vitesse de notre champ sur une surface l’entourant à l’infini ait une résultante non nulle sur l’axe verticale. En effet, s’il y a une force sur le cylindre, le cylindre agit aussi sur le champ et on retrouve cette force sur les frontières du système, c’est-à-dire à l’infini. Or sur ces frontières, le terme dipolaire ainsi que tous les termes d’ordres supérieurs disparaissent car ils décroissent plus rapidement qu’en 1/r alors que la surface est en rdθdz. Le seul terme survivant est le tourbillon (en 1/r), donc la circulation. Et dans le cas général d’une incidence des vitesses non perpendiculaire à l’axe de rotation de l’obstacle, on obtient :




  2. Puce  Passage du cylindre à l’aile :

    Nos champs ont 2 dimensions. Leur étude aurait aussi bien pu se faire dans le plan complexe. L’intérêt est de compacter l’information en une seule équation avec un seul paramètre, z=x+iy. Partout, les lignes de courant sont perpendiculaires aux équipotentielles (revenir à leurs définitions pour s’en convaincre). Cela nous permet de construire notre nombre complexe z : z=φ(r)+iψ(r).
    Si on souhaite transformer le champ pour l’adapter à une nouvelle situation, il suffit de trouver la fonction de z (fonction analytique) qui fera l’affaire. On parle alors de transformation conforme.

    Retrouvons d’abord les potentiels complexes de quelques écoulement :

    -  
    écoulement uniforme :



    -   Tourbillon et source :



    En effet, si on calcule la vitesse complexe (en dérivant le potentiel complexe), on retrouve nos profils de vitesse...
    à θ constant, on a dz = dr e.
    D’où :



    Si a
    0 est réel, on retrouve le champ de vitesse créé par une source alors que si a0 est imaginaire pur, on retrouve le champ d’un tourbillon.

    On va essayer de déformer notre cylindre en une aile, ou plutôt en une planche (modèle le plus simple d’aile) et si on trouve une fonction analytique permettant de le faire, on l’appliquera au champ du cylindre et on obtiendra le champ de la planche. Voilà le programme. C’est bien licite d’appliquer la transformation au champ car les fonctions analytiques conservent l’harmonicité (si f est solution de l’équation de Laplace, alors la transformée de f aussi) et les angles. La transformée continuera donc à respecter les conditions aux limites et sera solution du nouveau problème.

    D’accord, mais comment transformer un cylindre en planche (ou un cercle en segment puisqu’on ne s’occupe pas de l’épaisseur) ? En fait, il suffit de transformer le cercle en ellipse et de la tendre jusqu’à obtenir le segment.
    Joukovski, «le père de l’aviation» pour Lénine, a proposé la transformation suivante sur z :



    En complexe, un cercle a pour équation : z=re
    . En mettant notre cercle dans Z, on obtient :



    Enfin, en utilisant
    , on obtient :



    On a donc bien l’équation d’une ellipse ; notre cercle z est devenu une ellipse Z. Et Ô merveille ! En faisant varier le paramètre R de 0 à r, on passe tranquillement de notre cercle à un segment. En effet, lorsque R=r, on a :
    , petite portion de l’axe réel.




    On a un plan objet (x,y) et un plan image (X,Y). Un cercle dans (x,y) devient un segment dans (X,Y).
    Un écoulement parallèle à une planche sera décrit dans le plan complexe image par : UZ. Dans le plan objet, il lui correspond l’écoulement autour d’un cylindre, obtenu en changeant Z par g(z) :



    En prenant la partie réelle, on retrouve bien le potentiel des vitesses ϕ déjà trouvé.
    Jusque là, rien de passionnant. Mais maintenant, on va pouvoir tourner l’écoulement de manière à ce que l’angle d’incidence α sur la planche ne soit plus nul. Il suffit de changer z en ze
    -iα dans le plan objet puis de voir ce que cela donne dans le plan image. Appelons f la fonction qui a z associe l’écoulement dans le plan objet et F la fonction qui a Z associe l’écoulement dans le plan image. Sans avoir à expliciter F(Z) (f(z) va nous suffire), on peut obtenir les informations qui nous intéressent, c’est-à-dire la circulation sur notre aile, en se concentrant sur la vitesse complexe W=dF/dZ (puisque nos conditions aux limites portent sur la vitesse).

    On a :



    Et plus particulièrement, il nous faut juste la vitesse complexe sur la planche, donc, dans le monde objet, sur le cylindre. Posons z=Re
    (z est donc sur le cylindre) et la vitesse complexe devient :



    D’où :



    Ce n’est pas surprenant de trouver une expression réelle puisque les vitesses sont tangentes à la planche, donc pas de composante perpendiculaires (= imaginaires). On retrouve 2 points d’arrêt symétriques par rapport à O en θ=α+π et θ=α.




    Au point d’arrêt d’entrée (en bleu), sous la plaque, correspond le point d’arrêt de sortie (en rouge), sur la plaque. La situation n’est pas énergétiquement favorable. En effet, en sommant l’ensemble des vitesses au carré de notre champ, on obtient quelque chose de minimisable. Cela se conçoit facilement quand on imagine le contournement obligé de la planche pour aller de P1 à P2 par la droite. La minimisation de l’énergie correspond à un point P2 placé à l’extrémité de la planche, puisqu’alors plus aucun contournement par la droite n’est nécessaire. On appelle cette position favorable de P2, condition de Kutta (mathématicien allemand). On suppose donc que l’écoulement va se déformer pour tendre vers cette solution plus favorable en poussant P2 sur l’extrémité. Or, cette déformation du champ passe par l’installation d’une circulation autour de l’aile, sinon, pas d’asymétrie possible entre P1 et P2.
    Dynamiquement, les fortes vitesses nécessaires au contournement de l’aile par la droite installe une dépression qui va accélérer l’écoulement au dessus de la planche et ainsi “souffler P2 sur l’extrémité”.

    Si on trouve la valeur de la circulation nécessaire pour pousser P2 à l’extrémité de la planche, on trouve par la même la valeur de la circulation s’installant naturellement autour d’une aile lors d’une incidence oblique de l’écoulement lointain, ce qui nous donne la poussée sur une aile !
    Ajoutons donc le potentiel complexe associé à une circulation Γ à notre écoulement dans le plan objet et essayons de déterminer Γ.
    On a maintenant :



    Cela donne :



    D’où pour z=Re




    Et donc :



    La position des points d’arrêt sur la planche est alors donnée par :



    Et la condition de Kutta peut maintenant être respectée :
    Il faut :



    et donc :





    On a finalement un ordre de grandeur de la portée par unité de longueur de profondeur :



    Donc en appelant l(=4R) la largeur et L l’envergure (précédemment appelée profondeur), ça donne pour la portée totale sur une aile :



    Pour faire décoller un humain de 70 kg courant à 20 km/h portant des ailes de 10 kg cambrées de 30°, il faudrait qu’elle fasse 15m
    2. C’est à peu près la surface des deltaplanes courants mais la vitesse n’est maintenue qu’au prix d’une lente descente.
    Pour un petit avion d’une tonne allant à 100 km/h au décollage avec des ailes cambrés à 15°, il suffit encore de 15 m
    2, soit 2 m sur 7,5 m, ce qui est bien une taille typique d’aile.